Le quart d’heure misanthrope de la patate
Monde de merde
octobre 21, 2008 @ 0:08

Une fois n’est pas coutume, ce n’est pas pour faire de l’ironie ou narrer le cours agréable de son existence que la patate chausse sa plume, mais bien pour déverser sur la toile la bile qui jour après jour sape la santé de son petit intérieur pourtant pas délicat. Si véritablement excuse il faut pour cracher sur le dos de ses contemporains, nous mettrons cela sur le compte de la fatigue, et de l’énervement d’une journée partagée entre trains en retard et réunions répétitives.

Une fois de plus, c’est avec un effarement sans bornes que le tubercule constate le manque de savoir-vivre global de son environnement, à croire qu’il a été cultivé sur une autre planète, lointaine et percluse d’utopies. Dans ce train en revenance de Londres, en cette soirée passée en première classe de l’Eurostar, le péquin moyen pourrait naïvement s’attendre au calme relatif de la bétaillère ramenant à la maison les travailleurs partis pour la journée à l’étranger. Quelle misérable preuve de candeur serait-ce là. Non, l’homme d’affaires qui en semaine promène son cul entre capitales est par trop gonflé d’un sentiment de supériorité professionnelle pour ne pas faire profiter son entourage involontaire de toute la suffisance qui émane de sa personne. Parlant à son collègue, il ne peut s’empêcher d’exposer à tout le wagon sa réunion du jour, impliquant tel et tel chef de projet, les centaines de milliers d’euros que leurs actions engagent et l’avenir d’untel au sein de la société, maintenant que son tout frais bambin risque de le faire sortir à des heures décentes du bureau.

De même, la working girl assise non loin, la quarantaine déjà vieille difficilement repoussée à grands coups de séances de stretching et de maquillage très chic, fière de ses rejetons, ne peut s’empêcher au téléphone de s’assurer que la totalité de l’audience profite du menu de la cantine de sa progéniture, des exercices qu’elle a à rendre demain, de son heure de coucher et du bout de téloche qu’elle aura le droit de mater avant de s’endormir. Les trois bambins. Chacun leur tour.

Et la jeunesse fashion de Londres, portable sous le bras pour être sûre d’avoir l’air un peu important, de glousser dans son téléphone en mangeant, exercice certes périlleux mais franchement inintéressant, de chantonner comme si elle était dans sa chambre, de laisser le volume de sa sonnerie au maximum et de minauder avant de décrocher, hésitant de longues secondes à répondre à cet appel d’une importance sans doute cruciale pour l’avenir du ragot londonien! C’est à croire que le monde moderne a oublié que la vie en communauté impliquait parfois de prendre conscience de ce qui nous entoure, quitte à se fouler un peu la sensation d’être le nombril du monde.

Il est vrai que la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres. Mais pourquoi, dans cette promiscuité urbaine, certains considèrent-ils que leur espace vital a la préséance sur celui des autres ? La patate est-elle une extra-terrestre de penser que la juste logique, lorsqu’on est obligé de côtoyer en milieu confiné une masse de gens connus ni d’Eve ni d’Adam, serait de partager équitablement l’espace sans faire chier personne ? Extra-terrestre peut-être pas, extra-urbaine, ça se confirme de plus en plus. Au-delà de l’absurdité de se fatiguer le cerveau et la santé pour une industrie dont la seule préoccupation est de générer plus de blé avec moins de personnes pour faire tourner les moulins à vent, quel peut bien être le sens d’une existence passée à subir celle des autres ?

Pourtant dotée d’un naturel profondément attaché aux valeurs humaines et au respect de l’individu, la patate voit jour après son dégoût de ses contemporains anonymes augmenter à grands coups de transports en commun et de trottoirs squattés. Il lui paraît évident, pour sa part, de se pousser lorsque un quidam plus pressé qu’elle cherche à la dépasser en demandant pardon, de parler à voix basse dans son téléphone lorsqu’elle vient à le décrocher dans un lieu public lorsque sa sonnerie réduite au minimum a attiré son oreille, ou d’éviter de chantonner comme dans sa salle de bains lorsqu’il s’avère qu’elle est plutôt dans le bus. Et d’écouter de la musique avec un casque, dans la mesure où m^ême si elle trouve que celle qu’elle écoute est géniale, elle a conscience du fait que ce n’est pas nécessairement l’avis de tout le monde. Apparemment, c’est une évidence peu partagée. Pourquoi certains s’octroient-ils la permission d’occuper l’espace sonore commun lorsque cela prive les autres de celle de profiter du silence ?

Il semble que beaucoup de nos contemporains aient peur de passer pour insipides, ou faibles, ou sans caractère s’ils n’imposent bruyamment leur présence au reste du monde.

La patate trouve quant à elle que c’est triste d’avoir besoin de prouver que l’on existe pour en avoir la sensation.

4 Responses to “Le quart d’heure misanthrope de la patate”

  1. T’inqui?te, le jour o?? j’ouvrirai ma librairie-potager communautaire, je te garderai une plate-bande :) et tu pourras t’y r?fugier ! C’est vrai quoi, arr?ter de me la stresser ma patate !

  2. j’aime bien le concept de librairie-potager. Moi je voudrais faire librairie-fleuriste-?crivain public.
    tiens le coup cousine!

  3. oups d?sol? fausse manip !
    Bonne ann?e ! :)
    Je passais tout ?? fait par hasard en tappant « mat la patate » dans google haha !
    Bonne continuation, chouette la playlist et co !

  4. i am impressed by your work.http://www.celularcomchip.com